« Belle », ce que j’aurais aimé te dire.

/!\ ATTENTION SPOILERS. /!\

Peu de séances de cinéma m’auront autant marqué que l’avant-première aux Utopiales de « Belle ». S’il m’arrive très souvent d’être ému devant un film, « Belle » a franchi une frontière rare. Il m’a traversé, retourné et accueilli comme peu avant lui. Plus exceptionnel encore, il m’a fait fermer ma grande gueule car je n’ai jamais réussi, jusqu’à la parution de ce post, à écrire un texte dessus que je trouvais suffisamment digne de décrire ce que ce film représente pour moi.

Je me suis donc contenté de tweeter comme un désespéré en faisant des requêtes égoïstes et insatisfaisantes du style « faites moi confiance, allez le voir svp !  » tout en sachant très bien qu’il était quasi improbable que les autres partagent l’ampleur de ce que j’avais ressenti.

La démonstration le plus sincère que j’ai pu faire fût d’aller le revoir (cette fois en VF), une nouvelle fois à Nantes décidément ville des hasards absurdes et réjouissants, avec des amis et de les faire attendre à la fin parce que j’étais en train de pleurer affalé dans mon siège rouge. C’était un peu brutal mais au moins était-ce authentique. Cela m’a également permis de fuir, pour un instant seulement, les assourdissantes et redondantes questions : Comment donner envie ? Comment dire et exprimer à l’autre ce que j’y vois ?

Eh bien essayons malgré tout en revenant au film.

Une affaire de famille

« Belle » fut donc une baffe mais il faut dire que j’aurais pu le voir venir tant Mamoru Hosoda avait déjà bien préparé le terrain depuis des années. Encore endolori par un « Mirai » qui m’avait clairement refroidi, je restais néanmoins un admirateur sincère du travail du réalisateur notamment pour les beautés qui se dégagent tant bien de la course dans la neige des « Enfants Loups », que des fêtes et de la grande baleine du « Garçon et la Bête », des descentes en vélo de « La Traversée du Temps » et des parties de hanafuda de « Summer Wars ». Tout ces univers et toutes ces histoires ont construit en moi cette drôle de sensation qui me fait considérer Mamoru Hosoda comme quelqu’un « de la famille ». Car, outre que ses films sont reliés par des déclinaisons de cette thématique, c’est l’un des réalisateurs qui sait le mieux créer ce que j’aime le plus dans les histoires : des personnages dont l’humanité, notre bien commun universel, transperce l’écran pour nous emmener « vivre » avec elles et eux ce que le scénario leur donnera à affronter.

Dans « Belle », c’est pourtant la mort qui emporte l’attention dès le début du film avec le sacrifice largement incompris et méprisé de la mère Suzu qui finit noyée pour sauver un enfant inconnu. Notre héroïne, plongée elle sous les regrets et la colère, se retrouve alors à tenter de vivre malgré tout. Fâchée du monde, incapable de s’exprimer, le corps lâchant lorsqu’elle tente de s’extraire de sa quasi aphonie par le chant, elle prendra alors le large dans un univers virtuel prenant l’apparence d’un faux réseau social que Hosoda aime tant à recréer régulièrement.

Ce fantasme technologique non modéré se nomme U et les impossibilités techniques, légales et physiques sont balayés d’un coup de « Ta Gueule C’est un Film » pour en faire un endroit accessible intégralement au corps en avatar avec un vague dispositif technique relié à un smartphone. C’est dans cette U-topie que Suzu trouvera l’occasion de retrouver sa voix, en tant que chanteuse star virtuelle, et aussi de trouver une autre voie de vie tant pour venir à la rencontre puis au secours d’une « bête » traquée que de cesser de se faire la belle face à ses problèmes.

L’une des intelligences du film est toutefois de ne pas s’enfermer dans le rêve animé et de garder une large part de son récit ancré dans le « réel » tout comme de ne pas avoir réduit le rôle de Suzu à celui d’une victime. Hosoda se permet ainsi de superposer la starification soudaine et la perdition intérieure d’une jeune fille avec des traits d’humour du quotidien franchement réussis. Cela passe notamment par une mémorable scène de déclaration entre lycéens en plan fixe ou cette séquence un brin délirante où le système social de rumeurs entre étudiants est converti en un jeu de stratégie sur mobile. J’avoue avoir toutefois un coup de coeur personnel pour le personnage d’Hiroka, la meilleure des meilleures amies qui apporte un contre-penchant dynamique mi ange mi démon à Suzu.

On a parfois tendance à oublier que derrière le conteur familial, Mamoru Hosoda est un réalisateur talentueux. « Belle » en est un chouette rappel constant et les scènes décrites précédemment fonctionnent notamment grâce à des choix de mises en scènes intelligents et qui construisent un récit global généreux aussi réussi au niveau du rythme que de l’épaisseur.

A Million Miles Away

Toutefois la puissance de « Belle » ne m’éclatera au visage que vers le dernier tiers du film. Si j’avais trouvé jusque là le film véritablement excellent de part notamment cette construction impeccable, l’enchaînement qui mène à et surtout la scène du dernier concert en elle même ont déclenché dans mon cerveau un véritable flash.

Désolé pour le retour à l’égo mais pour comprendre ce qui m’a emporté, je me dois de préciser que j’ai toujours été fasciné par la thématique de la séparation et du deuil. La mort ne m’intéresse pas tant que ça car en tant que telle j’estime qu’elle fait partie du deal de la vie. A la fin, on meurt. C’est infini et bête, une abysse et une délivrance. Mais ce que permet le récit, c’est d’imaginer cet après, ces conséquences qui nous sont par définition inaccessibles et inexprimables puisque qu’elles n’existeraient pas sans notre absence. C’est sur ce thème que le récit de Belle m’a emporté quand je me suis aperçu que le film racontait surtout l’histoire de quelqu’un qui vit sans jamais avoir pu, voulu ni su exprimer qu’elle n’a jamais accepté la mort de sa mère.

Suzu souffre ainsi non tant de cette disparition d’un être cher mais de son refus d’accepter l’absurdité de cette dernière. Sa colère, ses angoisses, sa perdition et sa dépression viennent de son incapacité à gérer autant ses pensées qui lui dictent que sa mère est morte pour « rien » et qu’elle l’a égoïstement abandonnée que le reste de son cerveau qui a la conviction profonde que tout cela est faux. Et ce n’est que face à la possibilité de pouvoir se sacrifier elle même pour venir au secours d’enfants inconnus qu’elle se retrouvera sur les pas et face à sa mère qu’elle a tant aimée, haïe, recherchée et fuie. La suite est un adieu déchirant où l’acceptation et le deuil se mêlent à un océan de douleurs refoulées et de désespoirs absolus, le tout exprimé par une chanson, « A Million Miles Away », aux paroles d’une justesse impeccable et qui me file encore aujourd’hui encore la chair de poule, notamment dans sa version anglaise.

J’ai conscience que « Belle » n’est pas un film sans défauts, qu’il n’est pas fait pour plaire à tout le monde et que mon interprétation est influencée parce que ce que j’ai envie d’y voir car énormément de choses qui s’y trouvent cochent les cases des tropes et des clichés qui me font plaisir. Toutefois les émotions que j’associe au film demeurent puissantes : j’ai eu la chance dans ma vie de ne jamais perdre de proche dans un contexte aussi tragique et pourtant la baffe fût là. Ma vie est « Belle ».

Terminons toutefois ce texte par la dernière séquence qui clôture le film et qui a suscité énormément de critiques sur son côté artificiel, décalé du reste et peu pertinent. Sans vouloir à tout prix la défendre, car je partage une part de ses critiques, je pense que même ratée elle a le mérite d’apporter une conclusion à tous les publics. Il faut bien sauver les enfants.