Législatives 2024 #5 – Le vent se lève

Et ils votèrent. Le coup de massue. En masse, 2 électeurs sur 3. Et pour une large partie d’entre eux pour le RN et ses alliés,1 votant sur 3. Le constat est accablant et effrayant. Malgré l’amateurisme complet de sa campagne, malgré le vide de son programme et malgré toute la haine et/ou l’absence dont ses candidats ont fait preuve, le RN est aujourd’hui à un tour de scrutin d’accéder aux commandes du pays. Doté d’un électorat nouveau et déjà fidèle, porté par un ravalement de façade et une vague xénophobe qui colore en brun les colères rurales et les déclassements divers, le RN vend de l’anti Macron à la mode et il en récolte les dividendes dans les urnes.

Le reste de la droite est laminée comme le fut la gauche par le macronisme en 2017. Certes, on notera plus de poches de résistances clairsemées mais difficile de croire qu’elles tiendront toutes obstinément face à la puissance du pouvoir, la satisfaction patronale et l’influence grandissante des renoncements passés. Depuis Sarkozy, la droite s’est vendu pièce par pièce aux idées de l’extrême droite. A un moment donné, elle n’a plus eu qu’à réclamer la direction de la maison commune.

Capitaine capitaine, vous n’êtes pas le capitaine !

Face aux vents violents, la gauche a fait front mais le constat n’est toutefois guère réjouissant pour elle. Même unie et avec un navire à flot malgré ses différents capitaines, elle ne fait que 28% ce qui est largement insuffisant pour emporter la guerre des blocs. En force politique responsable, elle s’auto-éliminera dans nombre de circonscriptions où elle finit 3ème et elle demeure trop ric-rac ou en difficulté dans bon nombre d’autres pour être sereine dans des endroits où elle aurait dû pouvoir prendre l’avantage.

Avec 20%, la macronie a en effet fait plus que résister à la tempête et sa survie va être un énorme boulet pour le second tour tant son score lui octroie de facto le rôle de faiseur de rois. Si l’on exclue l’arrivée des fascistes au pouvoir, le danger majeur pour la gauche est là : dans ce rôle de seconde force indépassable à la merci de négociations tendues. Pour beaucoup de candidats Front Populaire, leur survie dépendra du vote du bloc centristo-bourgeois et nul ne sait si ils sont prêts et si oui pour combien de temps à vouloir empêcher une victoire RN.

Calculs RN haut.

En ce qui concerne le futur, les calculs pour la gauche sont encore plus implacables. En étant généreux et en lui accordant une portion réduite du vote macroniste, la gauche ne représente désormais qu’environ un électeur sur 3 là où le reste se disperse entre le centre droit et l’extrême droite. Si même face à un RN annoncé comme gagnant, même avec une forte participation, il n’y a pas de mobilisation supérieure, cela signifie que pour énormément d’électeurs la gauche ne fait pas partie des possibles.

Et comme la seule solution face au bloc fasciste restera l’union, la seule alternative viable ressemblera donc à une grande coalition qui exclura les propositions les plus à gauche car les macronistes feront fatalement monter les enchères.

La gauche paye ainsi fortement ce qui est sa principale faiblesse électorale pour les législatives : elle concentre ses forces en peu d’endroits là où les députés se font élire sur tout le territoire. La règle est cruelle mais faire 80% au 1er tour dans une élection rapporte le même siège que de faire 40% en tête dans une triangulaire. Cette faible étendue territoriale l’empêche de produire des résultats en siège à la hauteur de sa représentation. Il est donc probable que lundi prochain, elle se retrouve sans réelle progression en nombre de députés voire même en légère régression.

Au suivant !

A l’intérieur de cette coalition de gauche, la position de chaque leader apparaît aussi fragilisé. Prenons par exemple LFI : machine de guerre extrêmement efficace pour faire élire des candidats urbains et véritable bouilloire idéologique, le mouvement pourrait se voir isolé et donc perdant dans la recomposition à venir. Incapable de s’émanciper de son pré-carré, objet de rancunes multiples et repoussoir dans de nombreux endroits, Mélenchon va devoir naviguer finement pour sur-nager. Ce n’est pas la plus connue de ses cartes de navigation.

La position de ses alliés de circonstance n’est toutefois pas vraiment meilleur. Faut de pouvoir remporter leur pari commun et miné-e-s par 2 défaites consécutives, le leadership de chaque parti va faire l’objet de contestations internes lourdes ou de mutineries qu’il faudra gérer ou étouffer. Le tout revenant à écoper maintenant ou plus tard.

Mais que Mélenchon se retire ou pas, il a de toute façon préparé la suite avec la génération suivante. C’est d’ailleurs le point le plus positif de mon point de vue dans cette campagne : l’émergence de leaders à gauche un peu partout. Des profils qui n’ont connu que cette adversité, qui n’ont plus rien à perdre et qui ont donc la rage de vaincre comme boussole et le refus de toute compromission avec le RN ou les macronistes comme compas.

Retour vers le futur

Le défi pour la gauche est désormais immense comme celui de trouver le One Piece. Le changement doit se faire véritablement cette fois maintenant. Cela passe par l’achèvement du macronisme (ce n’est pas gagné avec les générations les plus anciennes) pour redonner du sens au bipartisme. Puis d’arriver à repartir conquérir des électorats peu politisés et dont le fond de l’air est vicié par le racisme et les préjugés made in Bolloré.

Tout ceci est un combat qu’on ne peut pas ne pas mener. Il sera rude, traversera les familles et les amitiés et nécessitera de reconnaître que oui nous sommes entourés de gens avec qui il est impossible voire non souhaitable de discuter. Changer un pays fatigué et peuplé de racistes dégénérés prêts à se donner au fascisme pour un peu de droit à la haine, d’ordre et d’illusions de sécurité ne se fera pas rapidement et nécessitera une résistance tangible et un récit politique réel, crédible et partagé.

Décidément, aujourd’hui on peut bien le chanter :

Etre né sous l’signe de l’hexagone
C’est vraiment pas une sinécure
Et le roi des cons, sur son trône
Il est français, ça j’en suis sûr

Renaud, Hexagone