« A Space for the Unbound », un jeu et un nous à part.

Illustration officielle du jeu "A Space for the Unbound"
Illustration officielle

Au tout début nous sommes quasiment à la fin d’un conte.

L’histoire de « A Space for the Unbound » est celle d’une princesse du Sud qui lègue son dernier miracle à un chat solitaire sur une planète abandonnée. Notre noble héroïne se meurt et, quoi de plus logique en ce monde, le matou prend la parole pour pleurer son départ et promettre d’honorer sa mémoire. Scène touchante d’un félin envers l’autre. La suite ? La plume n’en sait rien. Zoom arrière. Premier changement de plan. Nous sommes à présent avec une jeune écolière nommée Nirmala qui a arrêté son crayon. Elle ne sait pas encore les évènements qui concluront son univers imaginaire et les aventures de sa princesse en disparition.

Quant à la personne qui tient la manette, qui est-elle ? Eh bien, nous sommes un adolescent appelé Atma qui, pour des raisons que nous ignorons encore, est devenu ami avec Nirmala et l’encourage à continuer à écrire son histoire. Très vite, une autre tragédie se joue et voilà que notre avatar se réveille assis à un bureau et portant uniforme de lycéen. Face à nous se trouve Raya, une camarade de classe qui ne semble pas trop comprendre le brouillard qui entoure la mémoire et l’attitude dépassée de son petit ami.

Illustration du gameplay du jeu "A Space for the Unbound"
Chats !

Ah oui, parce que nous sommes son petit ami en fait. Tout se précipite. Pas le temps pour Atma de penser à Nirmala ou de se demander si nous sommes devant une nouvelle « réalité « ou la réelle fin du rêve ? L’enthousiasme de jeunesse de Raya s’agite trop pour lui laisser le temps d’émerger. La vie et surtout ses petits moments d’amours débutants n’attendront pas. En tout cas, elle n’attendra pas. Il y a des profs à narguer, une bucket list à écrire, des films à voir, des chats à caresser et tant de choses à collectionner et imaginer quand on a 17 ans. Mais là aussi très vite la réalité va se brouiller et le voyage d’Atma entre les mondes ne fait que commencer. On n’en dira pas plus tant cette histoire vaut la découverte intérieure.

Éloignons-nous donc pour un temps et intéressons-nous à la réalisation.

Petit bijou d’ingéniosité

« A Space for the Unbound » est un jeu à l’esthétique familière pour quiconque s’est déjà aventuré sur des terres d’histoires lycéennes japonaises. Même s’il a été développé et se déroule en Indonésie, le pixel art et les dessins se distinguent surtout par le travail impressionnant accompli sur les décors. Le jeu enchaîne ainsi une multitude de tableaux et d’univers intérieurs qui font partie intégrante de la narration et qui sont pour une grande part dans sa réussite. On soulignera également l’énergie dépensée pour produire des animations de qualité et une bande originale très travaillée qui accompagnent aussi bien le côté vivant de l’ensemble qu’elles s’imposent comme des vecteurs d’émotion puissants.

Dispositif interactif par essence, le jeu vidéo est un matériel réticent dès lors qu’il s’agit d’y inclure une narration au premier plan. Cependant, Mojiken Studio a relevé ce défi haut la main sans jamais se transformer en pur visual novel. Tout ici n’est qu’histoires certes, mais le gameplay est bel et bien là et rien n’est laissé à l’écart pour vous impliquer. Dialogues soignés, mini jeux qui agissent comme des petits bonbons, quêtes secondaires habilement intégrées, jouabilité simple et accessible à tout le monde, énigmes qui n’agissent que rarement comme des freins, lores amusants de personnages secondaires, références, 4ème mur et humour.

Illustration officielle du jeu "A Space for the Unbound" : Atma et Raya sont assis au cinéma.
Le jeu étant orientée narration, je vous conseille donc de parcourir cette histoire
depuis un fauteuil confortable avec la Switch ou le Steam Deck en main.  

Comme un film qui construit habilement ses séquences, « A Space for the Unbound » se nourrit de tous les dispositifs qu’il construit patiemment pour créer sa propre griffe. (D’ailleurs en parlant de ça, vous ai-je dit qu’on peut caresser tous les chats qu’on croise ? Meilleur jeu du monde !). Bref, c’est impressionnant d’habilité.

Et devinez quoi. Ça marche ! Ça marque !

Cependant, tout ce dispositif ne serait pas aussi remarquable si « A Space for the Unbound »ne disposait pas d’un scénario à sa hauteur.

Un souvenir marquant pour les années à venir.

Et de ce côté-là, la réussite est totale puisque l’habileté est là aussi au rendez-vous et la puissance émotionnelle qu’il dégage est impressionnante. On pourra lui trouver des passages un peu plus creux, notamment à cause de son gameplay qui multiplie un peu trop les écarts ralentissant le rythme pour son propre bien, mais le chapitre conclusif emporte tout sur son passage et atteint un sommet qui impose la comparaison avec les plus grands films d’animation japonaise.

Il y a du Makoto Shinkai, il y a du Mamoru Hosoda dans cette petite boîte et votre serviteur n’a pas retenu ses larmes à la vue du générique de fin en se disant que j’aurais tellement eu besoin de ça il y a 20 ans quand j’en avais moi aussi 17. Je ne saurais donc que trop vous conseiller « A Space for the Unbound » pour vous ou pour l’offrir à une personne qui se sent perdue ou un peu à part. Ce jeu lui veut sincèrement du bien.

La meilleure musique du jeu.

A l’heure de conclure, que retenir de ce petit bijou ? Son ton juste, son grain artistique constant, ses animations au poil, ses décors marquants, son gameplay qui ne perdra personne, son enchaînement de petites séquences marquantes, sa musique marquante, la construction inlassable et ultra travaillée de sa narration et cette apothéose finale qui vient conclure le tout avec maestria. Avec tout ça, on oublie alors tous les petits cailloux qui se sont mis sur la voie : ces aller-retour incessants, ces répétitions un peu trop bavardes, cette impossibilité de lancer un New Game + pour finir tous les objectifs et ces rares moments où on l’a un peu trop vu venir.

Tout cela oui n’est que peu de chose face à la puissance de l’œuvre, au talent artistique immense et à l’ingéniosité remarquable de ses créateur-rice-s qui livrent une expérience, aux contours parfois lourds et tragiques, mais surtout profondément humaine et portée par un message d’optimisme et de compassion. Si l’on se croise dans 10 ans, soyez certain-e que je vous parlerais encore avec nostalgie et passion de cet espace vidéoludique à part.


A noter.

  • Pour celles et ceux à qui cela ferait peur, sachez que le jeu a été intégralement traduit en français que ce soit, y compris sur Switch malgré ce qu’en dit le site de Nintendo.
  • La playlist du jeu est disponible sur Spotify et YouTube.
  • On peut vraiment caresser tous les chats !!!