Au départ de Road 96, une idée de voyage séduisante : incarner des adolescent-e-s en fuite pour traverser la frontière ultra sécurisée par un long mur d’un pays en voie de dictature et à la veille d’une élection présidentielle sous tensions. Avec des rencontres sur les routes gérées en mode procédural, on pouvait s’imaginer des tas de choses puis redevenir réaliste (le jeu n’a pas un énorme studio derrière) et malgré tout se dire qu’avec un tel potentiel, il y a tellement à faire jouer, à dire et à raconter.
Las, quelques heures après l’avoir terminé, je ne peux hélas que constater Road 96 est une belle et réelle déception. Pourtant, contrairement à la victoire de la NUPES aux législatives, j’y ai vraiment cru au tout début.
Moments de grâce
Commençons toutefois par le positif : la B.O du jeu DEFONCE. La chanson principale du jeu a ce qu’il faut de mélancolie et de cool attitude pour évoquer avec sincérité l’image d’une fugue adolescente. Surtout la musique fait vraiment parti du voyage car le jeu nous offre une sous quête fil rouge de recherche des K7 des chansons du jeu dans les décors, les véhicules ou les boutiques. Le jeu en vaut la chandelle car si de manière générale la musique est excellemment calée, on rencontrera très souvent des lecteurs K7 qui permettent à la joueuse ou au joueur de choisir la chanson qui correspond à ce qu’il ou elle souhaite ressentir à ce moment là.
Road 96 est un jeu sensoriel et c’est sa plus grande qualité.
C’est d’ailleurs par ses passages les plus agréables, ses symboles les plus sincères, tous ses moments de grâce où Road 96 parvient à faire un peu oublier ses graphismes limités (le jeu est très vide) et ses contrôles un peu savonnettes pour permettre au joueur d’apprécier l’instant et d’être en empathie avec son personnage du moment que le jeu est le plus émouvant et le plus beau.
Par sa capacité à faire ressentir une certaine poésie dans le mélange d’excitation, de fatigue et de stress du voyage, Road 96 a saisi l’importance des petits moments et de la construction d’ambiance. Si il a la sale manie de parfois gâcher ça avec des changements d’ambiance ou de gameplay assez brutaux, il a été porté une attention importante à nous faire comprendre ce qu’une société violente inflige à ses individus et particulièrement à sa jeunesse.
Il a également été travaillé, et ça sent, pour que son rythme soit bon et que la génération procédurale tienne à minima… la route. On ne se retrouve que très rarement dans un sentiment de répétition et l’enchaînement de petites séquences donne au jeu un effet carnet de voyage des plus agréables tout en permettant de lâcher la manette régulièrement.
Mais tout ça est largement gâché par une habitude insupportable qui sera le fil rouge de cette critique : le jeu ne va jamais aller au bout de ses idées, d’aucune.
Absentes tensions
Mettons les pieds dans le plat tout de suite, et croyez moi que ça ne me fait vraiment pas plaiser de le dire tellement j’ai envie qu’un bon jeu politique de plus existe, mais le scénario ne fonctionne vraiment pas. Mais alors pas du tout. Et ne voyez pas là que le political junkie frustré qu’est votre serviteur car le problème n’est pas uniquement dans le propos politique simpliste.
Le principal souci pour Road 96 est que l’écriture reste constamment à la surface des choses et ne réussit jamais son pari de transformer Petria en un pays crédible ou attachant pas plus qu’il ne convainc par le background ou le développement de ses quelques personnages principaux.
Parodie critique ratée mais surtout terriblement fainéante des USA, Road 96 échoue à convaincre car il se refuse de prendre le moindre risque. Nos personnages sont censées risquer leurs vies dans cette fugue vers la liberté mais jamais le jeu ne saisit de la gravité de ses enjeux.
Tout n’est que petit pas d’un côté puis de l’autre comme si il y avait personne pour assumer ce qui a été crée.
- Mettre en scène une élection sous tension ? Oui mais pas trop.
- Faire ressentir les dessous d’un pays qui évolue ? Oui mais pas trop.
- Développer une histoire familiale à tous les adolescents ? Oui mais pas trop.
- Créer une ambiance avec du semi-fantastique ? Oui mais pas trop.
- Planquer des petits trucs cachés ? Oui mais pas trop.
- Avoir un propos sur les violences policières ? Oui mais pas trop.
- Proposer des mini jeux ? Allez hop mais pas trop.
- Écrire des personnages avec une backstory émouvante ? Oui mais pas trop.
- De l’humour ? Un petit peu mais surtout pas trop.
Le paradoxe est qu’il s’agit au final d’un jeu à choix qui n’en fait jamais vraiment lui même. Chaque idée avancée est immédiatement modérée ou tempérée par un élément scénaristique ou de gameplay tiédasse. A ces frustrations s’ajoutent le fait que, pensé à la base pour une souris, le jeu ne fait pas de réel effort pour s’adapter à une manette et que, comme trop souvent pour le genre, les choix effectués par le joueur n’ont pas de réel intérêt.
Facilités et lâchetés.
Conséquences de ces facilités et de ces lâchetés, le jeu souffre alors d’un énorme problème d’incarnation. Alors qu’on est censé assister aux récits d’une succession de jeunes fuyant le pays, Road 96 ne se positionne jamais sur une question d’écriture centrale : quelles sont les raisons profondes, personnelles ou sociales, de leur fugue du pay. Est ce la misère économique ? la répression policière ? la censure médiatique ? On en aura qu’au mieux une vague idée et bien souvent le jeu nous laisse là avec ses méchants très méchants, ses gentils très gentils et ses platitudes.
Comme l’Union Européenne, Road 96 s’est construit son univers sans son peuple ni sa société civile. Et notre périple ne rencontre que véhicules et lieux désertiques fréquentés en boucle par les quelques personnages récurrents mais jamais une seule ville, une seule manif ou une seule prison. Pétria est une nation vide de vies et on a rarement eu une aussi mauvaise définition de faire campagnes.
Ces absences auraient pu être pardonnées si les personnages principaux avaient su être développés mais ce n’est pas le cas. Les incohérences sont légions (la police enlève et frappe des adolescents sans réelles réactions, il ne semble exister qu’une seule chaîne d’État pour toute presse, l’échelle des prix est insensée, la dictature semble évidente mais les élections et des sondages libres existent, …) , les hasards de scénario sont risibles (tout le monde semble se trouver toujours où il faut) et on ne se sent jamais vraiment investis par ces destinées qui se veulent mélanges de l’intime et de l’Histoire car elles se révèlent faussement complexes par la nécessite d’une narration soumise au gameplay rogue-like. Si certains personnages peuvent toutefois attirer l’empathie (Alex) ou sont vraiment bien mis en scène (Jarod), les interactions sont toutefois globalement trop caricaturales ou naïves pour tenir… la route.
L’insupportable est au plus haut notamment avec Sonya, présentatrice de propagande pro-dictateur que le jeu essaye de nous vendre comme une figure complexée et comme une victime alors que c’est totalement incohérent. Même chose pour un duo de braqueurs très malaise tv.
Au final, Road 96 est comme la campagne et le programme d’Hidalgo en 2022. Il manque plusieurs années de travail pour que ce soit à la hauteur des ambitions et des possibilités. C’est une accumulation maladroite et sans consistance globale de demi-idées combinée à un casting de personnage qui va du désastreux au semi-sympathique. La fin oubliable et ses 3 endings qui ne concluent pas grand chose ne surprendra donc personne.
Le fait qu’un des rares jeux vidéo qui se tâtait de vouloir parler (un peu) directement de politique soit loupé m’emmerde profondément mais je vous conseillerais quand même de l’essayer, il est en ce moment dans le Game Pass et vous serez très probablement moins dur que moi. Au pire on en retiendra la musique, qui je le répète DEFONCE, ce qui terminera malgré tout cet article sur de bonnes notes.