Tous, nous commençons tragiquement et de guerre lasse à nous y résoudre mais non le fait que le scénario le plus probable aujourd’hui pour le 2nd tour de l’élection présidentielle soit un affrontement entre la violence sociale extrême de Macron et l’extrême haine générale de Le Pen n’est ni banal ni normal ni, heureusement, inarrêtable.
Dans cet apocalyptique scénario, la victoire de Le Pen au 2nd tour, trop naïvement et hâtivement jugé improbable, gagne chaque jour en épaisseur. Les raisons en sont multiples. Il s’agit tout à la fois du résultat de plusieurs années de désinformation systémique sur sa pseudo dédiabolisation et son imaginaire assagissement, de la stratégie improbable d’une équipe Macron refusant de s’abaisser à faire campagne et préférant se terrer à l’Elysée tout en refusant débats télévisés et meetings.
La gestion minable et caricaturale de la polémique sur les recours aux cabinets de conseil par le gouvernement de ces derniers jours arrangeant elle aussi et une fois de plus le terrain pour la candidate d’extrême droite.
Et, juste entre nous pour les personnes de gauche, vous nous voyez aller en masse faire barrage à Le Pen en glissant un bulletin Macron ? Moi pas.
Rappelons au passage à celles et ceux qui seraient tentés d’opposer que Macron doit gérer la guerre en Ukraine que ce dernier a eu la possibilité de renoncer à la présidence de l’Union Européenne pour la campagne et qu’il lui ait été tout à fait possible de nommer à loisir des représentants chargés d’animer sa campagne.
Si le programme xénophobe, autoritaire, anti-écologique et pro-patronat de Le Pen n’a pas changé (vive la « dédiabolisation »), n’ayez aucun doute que Macron, qui ne sera plus empêché par une pandémie désormais niée à un niveau qui confine au criminel ou la peur légitime provoquée par une guerre en Ukraine qui, sauf énorme mauvaise surprise, s’enlisera dans l’opinion publique, se précipitera pour appliquer son programme de harcèlement des pauvres et enfoncera jusqu’au précipice ce qui reste de service public et d’associations déplaisantes à son idéologie.
Ces deux candidats ont par ailleurs beaucoup en commun.
Ils ne veulent pas agir sur l’organisation de l’économie. Même payé à 1 milliard et sans impôts, McKinsey ne le conseillera jamais.
Ils ne veulent pas s’occuper sérieusement de la problématique du siècle : le climat.
Ils se moquent de la santé publique comme de la vôtre ou de celles de vos enfants ou de vos parents.
Ils nient jusqu’à l’absurde les violences policières et se feront les relais des demandes autoritaires les plus extrêmes d’une partie des syndicats policiers.
Ils sont prêts à donner en pâture les pauvres et les étrangers au racisme social et à la xénophobie latents de ce pays. Ce n’est pas Le Pen qui a ordonné le lacérage des tentes des migrants, c’est Darmanin sous autorité de Macron mais nul doute qu’elle aurait fait la même chose.
Ces haines de la puissance publique comme de l’autre sont et seront de plus savamment entretenues par une complaisance médiatique (CNEWS, Europe 1, C8-TPMP, Le Figaro, Le Point , Valeurs Actuelles, …) et politique (du PS au RN) vivant de ces fruits.
Au fond, seul change la surcouche pour proposer le pire : redéfinitions extrémistes et excluantes de la laïcité et de la République et fausses évidences économique pour les « progressistes » centristes tandis que le reste assume et revendique.
Bref regardez de près ce qui va vous arriver : si l’un ou l’autre gagne, on va cracher du sang et plus vous êtes pauvre ou engagé à gauche ou étranger ou handicapé ou manifestant, plus ce sang a de chance de ne pas être une image.
Alors que faire ?
Déjà être lucide sur la situation.
Que votre niveau de confiance dans les sondages soit grand ou faible, il est aujourd’hui indéniable que la présidentielle est réduite à un match à 3 entre Mélenchon, Macron et Le Pen. Même en tordant les marges d’erreur, il apparaît désormais improbable qu’un autre candidat ou une autre candidate puisse changer cette ordre des choses. Et même si cela devait être le cas, on troquerait Le Pen pour un clone de droite plus facho ou une copie de droite plus bourgeoise.
D’où ma question : avons-nous encore le luxe du choix ?
A gauche, la situation électorale est réellement alarmante. Aucun autre candidat (Arthaud, Poutou, Roussel ou Jadot) ne semble pouvoir sérieusement dépasser les 6% et Mélenchon est encore bien distancié ne sécurisant pour le moment qu’une 3ème place inutile.
Il s’agit donc ici non pas de sauver le meilleur programme ou la meilleure candidature mais de soutenir le seul candidat en lice qui ait une chance de pouvoir promouvoir des réformes sociales et institutionnels majeures dont ce pays a cruellement et vitalement besoin.
Oui, on s’engueulera sur l’écologie.
Oui, on s’engueulera sur le service civique.
Oui, on s’engueulera sur le SMIC, les 32h et la semaine de 4 jours.
Oui, on s’engueulera sur l’Union Européenne, l’OTAN ou le rapport à l’Amérique du Sud.
Oui, on s’engueulera sur pleins et énormément de sujets.
Mais au moins, on s’engueulera sur des thématiques et des solutions qui seront les nôtres et pas sur la boue immonde qui sert aujourd’hui de thèmes récurrents au débat public.
A partir de là, je sais ce que certaines ou certains peuvent se dire : c’est bien beau tout ça mais au final tout cela revient au « vote utile ». Après avoir craché pendant des années sur la Une de Libé « Faites ce que vous voulez mais votez Macron », tu nous fais la même en changeant juste le nom.
Oui, vous avez raison. Bien que ça me tue de l’intérieur, on parle bel et bien de vote utile. Ne nous cachons pas derrière des termes prétextes comme le « vote efficace ». En rhétorique comme en politique, on appelle ça du foutage de gueule.
Toutefois avant de me crucifier, laissez moi préciser que, contrairement à Hollande face à Sarkozy en 2012 ou Macron face à Le Pen en 2017, il s’agit ici d’un vote qui sera suivi d’un autre et dont l’objectif est d’éviter un duel dont je vous ai raconté l’horreur en tout début de texte. Un vote utile qui n’est pas une fin mais le début.
Je répète donc ma question : Avons-nous encore le luxe du choix de faire autre chose ? Voulons nous vraiment refaire avec Jadot ce qui n’a pas marché avec Hamon ? Voulons nous vraiment voter Poutou pour le symbole et s’en contenter face à la situation ? Voulons nous vraiment bouder l’isoloir au prix que cela nous coûtera ?
Oui, je sais que cette élection pue. Que ce soit la non campagne de Macron, le traitement médiatique ultra déséquilibré mené par des patrons hypocrites de chaînes et de journaux ou le mode de scrutin pourri, tout cela relève d’un triple coup de force contre la gauche et vous avez toutes les raisons d’être en colère. Je le suis également.
Mais à moins de croire que la rue soit la seule solution (ce qui est possible et respectable) et donc de voter Poutou en se moquant du second tour, il n’y a que le bulletin de vote Mélenchon qui ait une chance de pouvoir changer cela.
Oui, je sais que LFI vous a déjà fait le coup de ce chantage et que ça n’a pas marché en 2017 mais la politique n’est jamais une expérience identique d’une élection à l’autre.
Oui, je sais que Jadot peut sembler tentant face à l’immense éco-anxiété qui nous traverse mais que faire d’une 6ème place même honorable ?
Oui, je sais que Mélenchon et ses compagnons de route ou son programme peuvent parfois vous donner envie de frapper contre le mur et franchement je serais ravi d’avoir ces conversations et ces engueulades avec vous sur plein de sujets de fond (nucléaire, instituions, …) comme sur la forme mais pour faire cela, encore faut-il vivre dans une France qui nous permette encore de le faire sereinement et que nous ne soyons pas occupés à plein temps à essayer de sauver des morceaux de l’essentiel.
Oui , j’ai bien conscience que le vote Mélenchon n’est pas une solution miracle et qu’elle est pour beaucoup un consensus douloureux voire quasi-impossible. J’ai conscience que pour celles et ceux-là, il s’agirait d’une corvée faite sans joie ni allégresse ni beaucoup d’espoir et qu’il y a toujours une excellente et honnête raison de ne pas apprécier la personne ou le programme même quand on est de gauche.
Ne croyez pas que vous écrire tout cela m’enchante, je n’ai pas aimé les heures que je viens de passer à écrire et réécrire et ré-réécrire la moindre ligne de ce texte et j’espère ne jamais avoir à le refaire.
Sachez toutefois que je suis sincèrement et profondément convaincu, au-delà de ma seule préférence partisane, que la vote Mélenchon est aujourd’hui la seule chance, le seul rempart fragile dont on dispose encore pour que le 2nd tour ne se résume pas à savoir si on préfère le Coca ou le Pepsi du mépris social et climatique et de la xénophobie.
Ayant horreur des injonctions électorales, j’ai longtemps hésité à publier ce texte. Toutefois, l’obligation s’impose à la raison et pour le dire en peu de mots : il y a alerte les ami-e-s. Et je n’oserais probablement pas me regarder en face dans le miroir si je n’avais pas essayé, même à mon minuscule niveau d’influence, de vous convaincre de l’importance d’aller voter et de faire voter le 10 avril pour le seul candidat de gauche capable de franchir le 1er tour.
Je conclurais ce plaidoyer par les seules injonctions que je puisse honnêtement vous faire et ce quel que soit votre vote au final :
Réfléchissez !
Quoi qu’il arrive, ne vous habituez pas ! À rien, ni à personne.
Prenez soin de vous et des autres !
Nemo.