Ma vie en gros #1 : Fais un effort

Dans ces billets, je vous partage quelques réflexions sur ma vie d’obèse.

L’une des principales difficultés avec l’obésité tient autant de vivre dans une société profondément dans le déni sur sa grossophobie que d’être en permanence dans le questionnement au sujet de son propre rapport à l’effort.

Partons déjà d’un postulat : personne n’aime être gros-se. On peut être dans une démarche d’acception de son propre corps et c’est totalement ok si ça permet de mieux vivre. Personnellement, je me trouve hideux et j’évite autant que possible les miroirs mais je respecte profondément les personnes qui décident d’entrer dans cette démarche tant que ça ne renforce pas un déni du problème médical. Cependant je pense qu’il n’existerait quasiment aucune personne qui si elle avait la chance d’avoir une baguette magique pour atteindre un poids régulier refuserait l’offre. Sortir de l’obésité n’est pas qu’un objectif de vie, c’est un rêve de survie.

Or pour accomplir cela, ça demande des efforts. Beaucoup beaucoup beaucoup d’efforts. C’est pour cela que les grossophobes qui vous disent simplement « fais du sport » ou « mange moins » sont des gens profondément stupides et nocifs. Car non seulement cela revient à dire à quelqu’un qu’il est trop con pour comprendre son propre quotidien et son propre corps mais en plus ça n’apporte aucune solution concrète. Pire que du yaka faukon, le yaka vrai con. Et surtout, ça néglige en plus une vraie question qui me traverse souvent : c’est quoi en vrai dans ma situation faire un effort ?

La sortie de l’obésité est un exercice très long et d’une contrainte immense. Il n’y a pas deux personnes pareilles parce que , attention spoiler, chacun a un corps qui lui est propre. Mon poids étant de plus assez variable au fur et à mesures des périodes de ma vie (là je suis actuellement sur une des pires à ce niveau mais j’ai bon espoir que ça change car je suis mentalement de plus en plus stable et heureux), je n’ai pas trouvé de façon d’avoir une norme personnelle qui me dise « là tu as été bon » ou l’inverse.

Pour simplifier le raisonnement, j’aime à limiter le problème à un duo de facteurs : la dépense physique et la qualité/quantité nutritionnel de la nourriture. Cela paraît simple mais je ne pense pas aujourd’hui être assez doué pour estimer de façon certaine comment je m’en sors malgré mes plus de 15 ans d’obésité.

Pour vous donner un exemple : je suis actuellement en congés au Japon (un petit enfer pour les obèses au passage) et je passe beaucoup de temps à marcher, bien plus que d’habitude, mais dans le même temps je ne me mets quasi aucune limite sur la nourriture. Or nous mangeons quotidiennement au restaurant et la junk food et les sodas sont ici accessibles très facilement. Si j’arrive plutôt pas trop mal à limiter ces derniers, force est de constater que je suis loin de mes restrictions quotidiennes habituelles. Idem pour la dépense physique, mes pieds me hurlent dessus avec des douleurs qui flashent parfois direct dans le 7/10 et mes genoux sont en ultimatum régulier.

Du coup, plein de questions me taraudent : jusqu’où dois-je me pousser en terme de douleur ? Combien puis-je m’autoriser à compenser les efforts fournis ? Qu’est ce qui relève de mes limites physiques et qu’est ce qui est juste vraiment dur ? Est ce vraiment profiter de mes vacances que de s’infliger de la douleur au nom de la santé ? Comment puis je diminuer ma charge mentale sur tous les aspects bloquants de ce pays ?

Là encore tant de questions auxquelles je n’ai pas réellement de réponses.

Ce qui est certain pour moi à la fin des journées est simple : je n’ai pas l’impression de faire des efforts, je sais que j’en fais. Peut être pas tous les jours même si le quotidien est fatalement rempli d’épreuves. Je sais aussi que je n’ai pas besoin de monter sur une balance pour voir que je n’ai pas réussi à renverser la guerre jusqu’à présent et que mes troupes sont clairement en recul. Principalement parce que je n’ai pour l’instant pas eu la force et/ou la volonté et/ou la capacité à trouver la stratégie qui me remobiliserait.

Face à mon quotidien, le cliché de l’obèse fainéant m’apparaît donc comme profondément incohérent. Vivre en obèse c’est déjà, comme toute personne handicapée, faire des effort chaque jour. En appeler à la fainéantise serait aussi absurde que d’accuser une personne qui se contraint à des entraînements quotidiens de se laisser aller. Ca n’a juste pas de sens et ce sont les personnes qui véhiculent ce genre de clichés blessants et stupides qui me donnent sérieusement l’impression qu’elles ne font elles aucun effort ne serait-ce qu’intellectuel.