Aux USA et partout, le grand retour en arriérés

Que reste t’il encore à caricaturer ?

J’avoue que j’aurais aimé commencé mes vacances au Japon autrement qu’en commençant à rédiger ce billet de blog. Après plus de 13h de vol, c’est toutefois bel et bien l’annonce de la victoire sans conteste du candidat « républicain » à l’élection présidentielle américaine qui a explosé notre moral à la descente de l’avion.

Comme si 2016 et 2020 n’avaient servi à rien, l’électorat américain a reconduit, que ce soit par vote populaire ou le système antédiluvien des grands électeurs, à la tête de leur pays un homme dont la vulgarité, l’instabilité, le machisme, la stupidité scientifique, l’autoritarisme démesuré et la haine explicite de toutes les minorités sont visibles de toutes et de tous et qui est responsable d’un assaut sur ses propres institutions. Malgré la diminution globale de la participation, la progression dans quasiment toutes les couches de la société américaine le prouve : Ce n’est pas un accident. C’est une volonté exprimée par le vote. Et c’est un drame qui va entraîner des conséquences massives pour la planète entière dont de nombreuses morts et vies gâchées.

Prêt à tout

On sait donc désormais que l’électorat américain est prêt à accepter beaucoup de choses.

Il a majoritairement soutenu un délinquant reconnu dont le seul concept de programme consiste à se moquer des règles, des lois et des juges pour s’imposer et se venger. Il a majoritairement récompensé une campagne qui racontait n’importe quoi au mépris de faits irréfutables et qui en était fier à tous les niveaux. Il a majoritairement approuvé le masculinisme toxique et la mise en danger des droits à l’avortement en contradiction même avec certains référendums locaux. Il a majoritairement approuvé une politique annonçant des mesures de restrictions, de non reconnaissance et d’exclusion des minorités en tout genre. Il n’a majoritairement aucun souci à voir appliquer des lois drastiques visant à faire de la déportation en masse sans que cela ne lui pose de problèmes. Il a également majoritairement soutenu une personne qui nie la réalité scientifique des vaccins ou du réchauffement climatique et qui aggravera la situation sanitaire et écologique comme jamais. Il est prêt majoritairement à cesser le soutien à l’Ukraine et à laisser les mains libres à Israël pour continuer ses massacres à Gaza comme au Liban.

C’est son droit. Nous ne pouvons hélas qu’en payer le prix mais si l’électorat est libre de son choix dans le cadre défini par ses institutions, nous sommes libres de dire et de penser qu’il est irresponsable et qu’il s’est lourdement et coupablement trompé. On attendra les analyses réellement à froid du scrutin pour connaître avec plus de détails quels ont été les facteurs principaux de ce vote. L’inflation des prix et le déclassement ressenti apparaissent désormais aujourd’hui en bonne place mais je pense qu’il nous faut collectivement aussi ouvrir les yeux sur un autre phénomène. La stratégie et la volonté répétée de Harris de vouloir ouvrir les portes à des « républicains » modérés/repentis a une nouvelle fois prouvé l’échec de cette méthode électorale. Il n’y a pas de place à la raison avec l’extrême droite: soit on les bats, soit ils nous écrasent.

Ce scrutin en est une froide illustration : ce qui s’est passé n’est pas qu’une tempête. Il s’agit aussi d’une inondation de cette pensée ultra réactionnaire, une poussée nette d’autoritarisme et une volonté claire de mettre un terme aux avancées sociétales et sociales. C’est un gigantesque camouflet pour le slogan de la campagne Harris : « Nous ne reviendrons pas en arrière. ». Ce qui nous apparaît à gauche comme une évidence a été rejeté dans les suffrages exprimés.

Avec mon camarade de podcast Iznogoud, on n’a d’ailleurs pas voulu y croire. Il y a quelques jours, nous sortions un épisode de notre podcast « Washington d’ici » où nous partagions nos analyses modérément optimistes pour Harris. Ce qui apparaît aujourd’hui comme une double naïveté coupable était pourtant sincère. Nous n’avons honnêtement pas vu venir ce scénario du pire qui s’est déroulé devant nous. Nous avons oublié que le monde est parfois cruel, que la bulle politique est une bulle et qu’il n’y a pas de démocratie sans peuple pour y croire. Ces résultats en sont un brutal rappel. L’électorat peu politisé ne vit pas dans le même monde que nous et l’efficacité des méthodes de détournement des causes et des mots et de provocation du chaos utilisées par l’extrême droite sont universelles.

Pour le parti démocrate arrive désormais le temps douloureux de l’introspection et pour Joe Biden une sortie de mandat en forme de longue marche humiliante vers la retraite. Son abandon très tardif de candidature suite à son débat désastreux, son incapacité à répondre aux attentes économiques et sociales d’une Amérique divisée sur ses valeurs et consumée par l’inflation ainsi que ses équipes visiblement en décalage le définiront comme un président perdant et perdu pour l’histoire. Faire de son mieux n’est pas toujours faire au mieux. Et malgré un bilan étonnamment plus à gauche qu’initialement prévisible, Joe Biden passera un pouvoir usé à un homme qui l’aura inondé d’insultes lui et sa famille restante.

La candidate Harris en elle même n’est pas exempt de reproche comme vu plus haut mais j’ai du mal à en vouloir à une campagne qui a dû se monter en à peine plus de 100 jours. Ses résultats catastrophiques hanteront à jamais l’histoire du Parti Démocrate tandis que la destinée personnelle de sa candidate semble bien flou et anecdotique. Dans son communique de presse, au ton cinglant qui ne cache pas la colère du vieux sénateur, Bernie Sanders se refuse d’ailleurs à la nommer appelant une nouvelle fois, comme depuis des années, à une révolution intérieure du parti au profit des droits sociaux pour entrer en résonance avec la colère du monde du travail. Taisant au passage les dangers sur les droits sociétaux et l’irrationalité du vote « républicain » et de l’abstention comme outil de lutte sociale.

Back in backlash

Les réponses qu’apporteront les démocrates seront d’ailleurs cruciales pour nous. Quand l’Amérique tousse, le monde ne tarde pas à éternuer. Le phénomène de « trumpisation » du débat public se développe ainsi partout en Europe où se reproduisent les mêmes « polémiques » et manipulations de peurs construites avec une partie importante et grandissante d’un électorat déclassé prêt à se jeter dans un mauvais remake des années 30. Le fascisme fascine et attire en période de crises. Il est aujourd’hui en pleine expansion et le backlash qui touche les milieux progressistes et écologistes dans leur diversité va nous faire perdre mondialement et collectivement plusieurs dizaines d’années, un retard très potentiellement irreparable. L’électorat n’est plus factuellement « raisonnable » et le rejet contre tout et tant est montant de façon tellement massive qu’aucune sécurité n’est plus garantie .

Ce feu du backlash est notamment alimenté par des médias d’extrême droite (de Twitter à CNews) qui disposent d’une force de conviction pour la déshumanisation qui est elle aussi régulièrement sous-estimé. Elle a d’ailleurs infecté le macronisme et une partie du socialisme français qui sont désormais des soldats volontaires et bénévoles de ces populismes d’exclusion. Son terreau est fertile car où que l’on regarde les écarts de vie et de pensées se creusent. Entre progressistes et réactionnaires. Entre hommes et femmes. Entre pauvres et riches. Entre urbains et ruraux. Entre jeune et vieux. Entre tradition et modernité (expression dont vous noterez que je l’utilise depuis le Japon sans parler de ce pays).

Et la comparaison avec le voisin américain ne s’arrête pas là car ici aussi après le choc vient naturellement la question du pourquoi. On entend ainsi le concert désordonné des éditorialistes et politiques qui chutent du pied gauche dans l’idée que les démocrates américains auraient dû aller plus à gauche et du pied droit en les dépeignant en « wokistes » intégristes. Éliminons d’emblée ces derniers car rien que l’utilisation sérieuse du mot « wokiste » à la fois dans un sens négatif et pour décrire la campagne de Harris démontre la vacuité intellectuelle et la fainéantise politique de ceux qui le font. Les poubelles servent à classer ce genre de choses. Revenons en plutôt à la gauche.

Si je peux partager l’idée que les démocrates américains ne vendent pas du rêve, l’éternel procès de la gauche française envers eux m’apparaît surtout comme trop unilatéral et trop peu ancré dans la réalité pour être intéressant. Le bilan du dernier mandat démocrate est d’ailleurs tout sauf honteux au vu des rapports de force avec des institutions aux règles biaisées contre eux. Qui ira reprocher à Biden de ne pas avoir voulu effacer la dette étudiante par exemple quand son principal obstacle se trouve dans une Cour Suprême dont 6 membres sur 9 ont été placés par des opposants politiques ? Qui ira lui reprocher d’avoir lancé une gigantesque loi sur le développement des infrastructures ? Le bilan de Biden n’est certes pas la grande métamorphose qu’une grande partie du peuple de gauche espérerait mais il est plus à gauche que celui d’Obama et mériterait une analyse bien plus détaillée que simplement la cantonner à une version sauce Big Mac du macronisme.

Le summum de cette caricature de gauche se trouve pour moi personnifié par Aymeric Caron. Un homme politique dont le combat courageux et sans faille contre la politique génocidaire d’Israël est admirable mais qui s’est retrouvé à défendre avec vigueur la candidature polluante de Jill Stein (une écologiste qui s’est maintenue dans de nombreux états sans aucun espoir de l’emporter) et à condamner Harris pour n’avoir pas pris une position anti Israël qui l’aurait largement encore plus décimé dans cette élection.

Beaucoup d’entre vous ne seront peut être pas d’accord mais la frustration et l’insatisfaction d’être contraint à voter pour moins pire, à cause des règles pourries du scrutin présidentiel américain, ne m’apparaissent pas comme des excuses suffisantes pour volontairement laisser passer un tel homme politique. Je n’ai aucune satisfaction à dire que tout vote autre que Harris était en réalité un soutien à son adversaire car si il s’agit d’un pragmatisme brutal et assez dégueulasse , il est toutefois hélas tristement véridique et à mon sens nécessaire.

A suivre…

Reste alors l’ultime question : au vu de ce qui s’annonce pour l’avenir et les prochaines élections, on fait QUOI MAINTENANT ? Résister, oui bien sûr. Mais par quels moyens ?

Le dilemme électorale est majeure pour les gauches. Comment faire revenir à soi un électorat populaire et occasionnel qui part de plus en plus vers la droite ? Et comment le faire sans s’aliéner sa base existante ? L’un des axes majeurs selon moi est médiatique. La gauche doit refabriquer ses propres médias pour pouvoir diffuser son message de manière bien plus large sans la pollution des chaînes privés pour le noyer. On ne gagne pas à gauche sans idées qui infusent dans le pays. Reprendre ce contrôle de diffusion m’apparaît donc comme un moyen insuffisant mais tellement nécessaire si l’on veut mobiliser.

Et pour le reste, eh bien, j’ai envie de dire tous les moyens sont bons tant qu’on ne dépasse les limites de la morale et de la décence. Les luttes durent après tout. Mais je n’ai pas ce soir la tête suffisamment claire pour me permettre d’écrire plus en détails là dessus. Ce sera donc pour un prochain billet. Ce qui est certain pour ma part, c’est que j’ai la tête suffisamment dure (les origines bretonnes) pour ne pas encore lâcher l’affaire avec la politique malgré tout. Quitte à se planter et tout perdre, je préfère encore le faire les yeux ouverts et partager la suite ici et avec vous qui me faites l’honneur de me lire.

J’aimerais vous dire qu’on va avoir droit à un peu de répit mais l’Allemagne vient d’entrer en crise politique. Des mots qu’on n’aime jamais lire.

Prenez soin de vous et plus que jamais prenez soin de vos proches et des autres.

Nemo